Le Dernier Etage du Monde

Pour son premier roman, Bruno Markov frappe fort. 

Véritable Rastignac des temps modernes, son héros Victor Laplace entreprend de gravir les échelles qui mènent à la gouvernance du monde :  devenir un ponte de l'intelligence artificielle, un manager en vue de la Silicon Valley, un homme que tout le monde envie.

Mais notre héros a un projet secret : venger son père du consultant qui lui a volé son poste et sa carrière qui ont fini par le pousser au suicide.

Va-t-il réussir ou se perdre en route dans cet océan de manoeuvres et de manipulations ? Se laissera-t-il éblouir par la réussite de ceux-là même qui 'il entend détruire ? Le système est si fort qu'il est bien difficile à combattre, en particulier de l'intérieur.

L'auteur nous entraine dans une aventure digne d'un polar psychologique, au sein de cabinets de conseil, d'activités de trading haute fréquence, en passant par les GAFAM et autres start-ups américaines. On y croise des hommes et des femmes obsédés par la compétition, perdant de vue leur propre humanité pour accueillir à bras ouverts les "lois de l'espèce dominante", sur fond de transhumanisme et de manipulation des foules par l'utilisation sans scrupules de leurs données personnelles.

Aux côtés du héros, nous entrons de plein fouet dans cette nouvelle ère technologique (qui est déjà la nôtre), nourrie aux data et à l'Intelligence artificielle, qui font exploser les carcans, changer les usages et où le sens éthique semble se faire "manger" par les appétits d'ogres de tous ordres, souvent mal intentionnés ou carrément nuisibles.

Un très bon livre, très bien mené, qui nous pousse à nous poser les questions essentielles de notre époque.

 

Le Dernier Etage du Monde, de Bruno MARKOV, aux éditions Anne Carrère, 2023

 

 

EAU : l'état d'urgence

Il y a quelques semaines, on vous parlait déjà de la la problématique de l'eau avec le livre "EAU" de la collection Fake or Not.

Le petit ouvrage d'Anne Le Strat, bien que très pédagogue également, se lit très vite, sur un mode plus protestataire. Au-delà des constats alarmants de la situation actuelle (le livre est sorti en juin dernier), l'auteure interroge de façon très crique la stratégie gouvernementale et notamment le "plan eau", largement insuffisant au regard des défis qui nous attendent. 

" La vraie question stratégique hautement inflammable est relative aux priorités que le pays se donne en termes de répartition des usages de l'eau entre les différents acteurs. les controverses sur le choix des consommations prioritaires vont aller grandissant et vont concerner tous els secteurs, de l'agriculture au tourisme, des activités de loisirs aux industries". Le sujet est posé !

Et Anne le Strat ne se dégonfle pas. En très peu de pages, elle nous livre les clés pour comprendre à quel point les mesures actuelles ne font qu'effleurer la situation. sans parler de pans entiers dont personne ne souffle mot. C'est le cas par exemple de la consommation d'eau industrielle pour la fabrication des puces électroniques, pilier de notre politique de réindustrialisation et d'indépendance face au géant chinois. Certes mais, les besoins en eau gigantesques de cette industrie déchirent déjà la vallée de l'Isère : 70% de l'eau disponible y est utilisée pour l'industrie des puces électroniques. Sans compter que SMTelectronics et GlobalFoundries annoncent un projet d'usine commune à Crolles, près de Grenoble. "L'investissement  se monte à 5.7 milliards d'euros dont l'Etat prévoit de financer 40% des fonds" Qui se soucie de l'approvisionnement en eau des habitants de cette vallée ? de l'assèchement des cours d'eau ? de l'impact sur la biodiversité ? etc.

Mais l'auteure ne se contente pas de mettre le doigt sur les problèmes. elle rappelle que nous connaissons les connaissances pour répondre aux bouleversements générés par le changement climatique, les crises de l'eau et de la biodiversité. "Ce n'est pas un défaut de solutions mais de volonté politique". Le plan EAU du gouvernement est hélas la preuve que cette volonté est bel et bien sacrifiée sur l'autel des lobbies et autres temples économiques.  Il est "truffé de voeux pieux et de promesses vagues, dominé par une logique d'encouragement (non contraignante) et de soutien (non précisé) évitant de s'attaquer aux racines du problème les moins consensuels, autour du partage des usages ou des pollutions (par les pesticides particulièrement) par exemple".

Il faut changer de logique pour délaisser l'investissement aveugle dans des industries et une agriculture orgiaques, pour revenir au sens commun : "les usages de l'eau qu'ils soient agricoles, industriels, énergétiques, de loisirs ou domestiques doivent s'adapter à la ressources disponible et non l'inverse."

Un livre court mais excellent et très bien documenté pour permettre à chacun de savoir où l'on va, et surtout où l'on ne va pas ... au cours de l'eau !

EAU, ETAT d'URGENCE - Anne LE STAT - Editions SEUILIBELLE - juin 2023

 

 

 

 

 

L'EAU

Chez Les Humains, on est fans de la collection Fake or Not des éditions TANA. Nous avons déjà traité dans nos chroniques certains de ces ouvrages hyper pédagogiques sur des thématiques centrales de la transformation nécessaire de notre monde comme la décroissance, l'agro-alimentaire et l'alimentation. Nous voulions aujourd'hui vous partager notre enthousiasme sur l'opus consacré à la question vitale de l'EAU, très bien écrit par Charlène Descollonges, ingénieure hydrologue et consultante pour l'association pour une Hydrologie Régénérative.

Simple, pédagogue, très bien documenté, chiffré et illustré, l'ouvrage est à mettre entre toutes les mains ! L'auteure nous explique l'importance du grand cycle naturel de l'eau, à la fois fermé et infini... enfin avant que l'être humain le perturbe pour asservir l'eau douce. Car il nous en faut pour tout : boire bien sur mais surtout produire (de l'extraction des hydrocarbures à la production d'énergie, d'aliments, de la nourriture que nous consommons à tous els objets que nous utilisons).

Chaque jour, un français consomme 146 L d'eau en moyenne à la maison : 58.5 l pour se laver, 30.5l dans les toilettes, 26l pour la vaisselle et la cuisine, 10.5l pour l'arrosage, 19l pour laver le linge et seulement 1.5 l pour boire. Mais la véritable empreinte EAU d'un français est en fait de 4900l par jour  dont 37% est dû à notre consommation de viande, 14% nos achats de produits industriels, 13% la consommation de boissons, 10% de lait, 6% d'huiles, 5% de céréales, 3% de sucre, 3% de fruits et légumes. Un congolais a une empreinte nettement plus faible : 1500L/jour quand un Emirati atteint les 8600 L/jour !

Près des 3/4 de l'eau pompée en France alimente l'économie pour produire de l'énergie, des biens industriels et des produits alimentaires.

Alors pour faire fonctionner notre système économique, on pompe massivement et on rejette là où ça nous arrange, on détourne les cours d'eau, on endigue les rivières, on construit des barrages et des retenues, on bétonne des zones humides, on déforeste à tour de bras, on pollue, on modifie le climat...

Il est urgent de regarder l'eau douce autrement que commune ressource inépuisable (à peine 1% de l'eau douce es accessible aux humains), à contrôler et à utiliser à notre guise. Enjeu politique, la gestion de l'eau doit devenir collective et démocratique sous peine démultiplier les conflits d'usage, voire s'engager dans des guerres de l'eau.

 

L'EAU, collection FAKE OR NOT, TANA éditions, mai 2023

 

PORTRAIT DU PAUVRE EN HABIT DE VAURIEN

Un titre un rien provocateur pour cet ouvrage très bien documenté qui ressence toutes les croyances et contre-vérités des plus riches au sujet des plus pauvres, mais aussi de penseurs et autres intellectuels au fil des siècles. 

Il s'agit d'un ouvrage posthume, terminé par deux des proches de l'économiste Michel Husson, deux ans après son décès. 

Le livre poursuit trois objectifs : mettre au jour le fait que les théories économiques dominantes rendent les chômeurs et les pauvres responsables de leur sort et donc « dédouanent le mode d’organisation sociale » (p. 23) ; montrer « la permanence des constructions idéologiques et leur résurgence périodique, que l’on pourrait presque qualifier de cyclique » (p. 24) ; établir le lien entre cette « économie politique lugubre » (p. 255) et le darwinisme social qui a épousé les thèses de l’eugénisme.

Le lecteur se retrouve plongé dans la littérature remontant jusqu'au 18ème siècle et réalise comment les arguments encore avancés aujourd'hui, sont finalement cycliques et réapparaissent à chaque crispation de l'Histoire. Entre les théories d'un Jérémy Bentham en 1834 pour qui aider les pauvres conduite à les abandonner à leur oisiveté, ou encore les troublants échanges de Charles Darwin avec son cousin Francis Galton, père de l'eugénisme, et bien d'autres penseurs aux idées toxiques, voire ouvertement racistes.

Théories totalement fantasques, aussi néfastes que grossières direz-vous ?

Hélas, elles influencent encore aujourd'hui nombre de représentations sociétales mais aussi de politiques actuelles de l'emploi, des territoires, de la santé ou de l'économie en général. 

La lecture de ce livre ne nous donne pas forcément le moral (on s'en veut un peu de vous le conseiller en plein été) mais il est nécessaire si l'on veut comprendre les fondements irrationnels et mensongers de commentaires et initiatives actuelles bien mal inspirées.

Portrait du pauvre en habit de vaurien - MICHEL HUSSON - editions Page deux et syllapse - 2023.

 

 

 

POLITIQUES DE SOBRIETE

La sobriété : un mot qui émerge de plus en plus dans les media au gré de l'accroissement de la crise climatique. Pourtant, le terme ne cache pas les mêmes visions, croyances et réalités selon la personne qui le prononce. Car n'oublions pas le sens étymologique du terme : si on est sobre, sobrius, c’est qu’on n’est pas ivre, ebrius. C'est donc finalement de cette ivresse de l'abondance souvent appelée "progrès" que l'auteur nous parle ici.

Les premiers chapitres de l'ouvrage de Bruno Villaba, sociologue et spécialiste des politiques publiques environnementales, sont logiquement consacrés aux réflexions d'érudits - philosophes, économistes, chercheur en sciences sociale et même théologien- qui ont traité du sujet.

Plus récemment, l’idée de sobriété est un devenu un enjeu de lutte. Souvent envisagée comme un simple outil d’efficacité énergétique, elle est aussi le point d’appui d’une profonde remise en cause de la modernité industrielle. La sobriété est ainsi devenue un enjeu politique qui voit s'opposer deux référentiels : le premier voudrait produire toujours plus avec moins (solutionisme technologique), le second envisage plutôt un renoncement programmé à l'imaginaire de l'abondance, au travers de mesures démocratiquement négociées.

"Les discours officiels sur la sobriété gardent toujours comme horizon que nous allons réaliser quelques efforts, temporaires, mais que bientôt une parade technologique nous permettra de retrouver l’abondance comme avant. Malheureusement, il n’existera pas de remèdes technologiques : ces solutions sont construites pour maintenir notre mode de vie, profondément destructeur, qui provoque le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité. La seule solution qui s’offre à nous est donc de penser nos modes de vie non plus à partir de nos intentions, mais à partir des limites planétaires."

Se basant sur les recherches du Stockholm Resilience Center, en collaboration avec d’autres scientifiques, qui ont modélisé les neuf limites planétaires du système Terre, augmenté de nombreuses autres données, études ou actualités, l'auteur invite à explorer quelques pistes d’amélioration possibles et en appelle à une réelle politisation de l’écologie.

POLITIQUES DE SOBRIETE - Bruno Villalba - Editions Le Pommier - 2023