RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES SUR LA TRANSITION ECOLOGIQUE

Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas d'un essai que nous vous parlons ici mais du premier rapport thématique consacré à la transition écologique que vient de publier la Cour des Comptes.

Le constat est implacable : le réchauffement s’accélère, les écosystèmes s’effondrent, les ressources s’épuisent. En 2024, les catastrophes liées au climat ont coûté près de 300 milliards d’euros à l’échelle mondiale, et la France pourrait perdre 11 points de PIB d’ici 2050 si elle reste sur sa trajectoire actuelle. Pourtant, malgré ces chiffres alarmants, les réponses demeurent timides et souvent incohérentes.

Certes, les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 30 % depuis 1990. Mais derrière cette statistique flatteuse se cache une réalité bien plus préoccupante : les émissions « importées » – générées par les biens que nous consommons mais produits ailleurs – continuent de croître et échappent à toute régulation. La France se satisfait d’une vision tronquée de sa responsabilité climatique.

La biodiversité décline, les nappes phréatiques s’épuisent, les déchets augmentent… Et pourtant, les politiques engagées restent fragmentées, souvent privées de moyens et freinées par l’absence d’indicateurs fiables. La création du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), censée donner une cohérence interministérielle, s’est traduite par une influence limitée, affaiblie par le poids d’autres priorités politiques et budgétaires.

Sur le plan financier, la Cour rappelle que l’effort consenti reste dérisoire au regard des besoins. La stratégie pluriannuelle de financement (Spafte), présentée en 2024, est jugée incomplète, trop technique, et surtout déconnectée de la réalité des collectivités et des territoires. Les investissements nécessaires – au moins 110 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2030 pour le climat – reposent à 80 % sur le privé, alors que ménages et entreprises peinent déjà à absorber le coût des transformations.

Surtout, les choix opérés continuent d’entretenir les contradictions : subventions aux énergies fossiles, absence de trajectoires chiffrées pour certains secteurs, manque de transparence sur la réorientation des dépenses publiques. On parle de sobriété, mais on entretient encore des modèles économiques incompatibles avec les objectifs climatiques.

La Cour des comptes appelle à un sursaut : fixer des objectifs sectoriels clairs, évaluer réellement la capacité des ménages à supporter la transition, et surtout, mettre fin à l’inaction déguisée en action symbolique. Tant que l’État ne se dote pas d’une stratégie cohérente, courageuse et équitable, la France risque de continuer à reculer sous couvert d’avancer.

En filigrane, un mantra que l'on connait bien : nous n’avons plus le luxe d’attendre. Chaque retard aggrave la dette écologique et financière. L’inaction coûte plus cher que la transition, et pourtant, c’est encore la première qui domine.

 

COUR DES COMPTES - septembre 2025 - Lire la synthèse du rapport ici .

La Doctrine Invisible : l'histoire secrète du néo-libéralisme

La Doctrine invisible de George Monbiot et Peter Hutchison est un essai passionné et documenté qui lève le voile sur le néolibéralisme, un système omniprésent, semblant aller de soi... et pourtant, il n'en est rien.

Le néolibéralisme n'est pas inévitable ni immuable, mais il est dominant parce qu’il a été propagé comme une vérité naturelle, dans l’ombre. Des élites économiques ont financé des think tanks, des universitaires, des médias, et introduit cette doctrine dans le discours public de façon longue et concertée — « la plus grosse opération de propagande de l’histoire de l’humanité ». Ce lent travail d’infiltration a fini par effacer la doctrine de la conscience collective, transformant des choix politiques en fatalité.

Monbiot retrace le parcours du néolibéralisme, de ses origines intellectuelles dans les écrits de Hayek et Mises des années 1930 et 1940, jusqu’à sa montée en hégémonie à partir des crises des années 1970. C’est à cette époque que Reagan, Thatcher et d’autres figures politiques ont mis en œuvre la dérégulation, la privatisation et l’austérité, sur un terreau idéologique soigneusement préparé.

Les conséquences de cette hégémonie sont multiples : explosion des inégalités, érosion des services publics, affaiblissement démocratique, instabilité économique, effondrement écologique… Monbiot et Hutchison montrent que ces crises ne sont pas isolées, mais structurées par la « doctrine invisible », qui place le profit au-dessus du bien commun.

L’essai se lit comme un roman documenté, qui allie rigueur et clarté narrative. Le livre réussit à être à la fois informatif et militant, sans jargon inutile.

Loin de s'inscrire dans le pessimisme et le fatalisme, les auteurs dessinent des pistes de rupture : démocratie participative, réforme du financement politique, limitation de la richesse extrême (“limitarianisme”), « luxe public » contre suffisance privée, réappropriation locale des biens communs… 

 

La Doctrine Invisible de G.MONIOT et P. HUTCHINSON, aux éditions du Faubourg - 2025

Le capitalisme est un cannibalisme

Dans Le capitalisme est un cannibalisme, Nancy Fraser nous explique en quoi le capitalisme dépasse le simple système économique auquel on le réduit souvent et l'analyse comme  « un ordre social entier » reposant sur la consommation systématique de ce qu’elle appelle les « quatre sphères non marchandes » : le travail domestique non rémunéré, la nature, les fonctions politiques, et les populations expropriées. De ces zones − indispensables à la production capitaliste − naissent les contradictions et les crises actuelles.

Une critique profonde des frontières imposées

Fraser s’inscrit dans une lignée critique post-marxiste, mais va bien plus loin. Elle identifie des « demeures cachées » : des zones pourtant essentielles, ignorées parce que non-marchandes ou non-capitalistes.

Ces frontières artificielles, construits socialement, sont à la fois invisibilisantes et destructrices. Elles permettent au capitalisme de puiser sans jamais compenser – reproduisant tant la dépendance écologique que le travail gratuit de care, la violence raciale ou l’aliénation politique.

Histoire d’un cannibalisme constant

L’originalité de Fraser est d’ancrer cette théorie dans une histoire du capitalisme en quatre phases : mercantile, libérale-coloniale, étatique-managériale, puis financiarisée. Ce cheminement historique montre comment les sphères non marchandes sont successivement prédatées selon les configurations sociales et technologiques du moment.

Intersectionnalité concrète et convergence politique

Le livre ne se contente pas d’analyser : il réclame une convergence émancipatrice entre les luttes antiracistes, féministes, écologiques et politiques. Fraser invite à dépasser l’intersectionnalité théorique pour penser les oppressions comme des sous-systèmes structurellement nécessaires au capitalisme – et donc à les combattre simultanément.

Le capitalisme et la nature : une contradiction inéluctable

Avec force, Fraser expose ce que l’on appelle la « contradiction écologique du capitalisme » : un système dépendant de la nature et de ses ressources, tout en la détruisant activement. Cette prédation écologique est au cœur de la dynamique capitaliste — et ce pillage structurel engendre à son tour des crises comme la pandémie récente, résultant notamment de dégradations écologiques.

Vers une écopolitique intégrée

Si le capitalisme nous « cannibalise » en épuisant les ressources physiques, sociales, politiques et humaines, alors la réponse ne peut être qu’intégrée.

Fraser appelle à une contre-hégémonie écopolitique, qui ne soit pas seulement environnementale, mais aussi sociale, politique, économique, et identitaire. Une contre-hégémonie capable de forger un sens commun mobilisateur au-delà des foules d’opinions diverses.

Des pistes concrètes — une socialisme renouvelé ?

Sans céder à l’utopie naïve, l’auteure esquisse les traits d’un socialisme du XXIᵉ siècle. Un socialisme qui ne se limite plus à la revendication d’une meilleure répartition économique, mais cherche à réinvestir les sphères non marchandes : soins, démocratie, nature… Elle refuse ainsi une approche fragmentée — ni écologisme réduit, ni féminisme détaché de la dimension sociale.

En conclusion

Le capitalisme est un cannibalisme est un ouvrage salutaire. Il nous pousse à reconnaître que la crise écologique ne peut être désolidarisée des violences patriarcales, racistes, politiques ou économiques. Ce livre est à lire comme un manifeste d’action : en convoquant tout, en reliant tout, il propose une voie collective pour reconstruire une société — et un monde — vivables.

 

Le Capitalisme est un cannibalisme de Nancy Fraser, aux éditions ANTIGONE-2025

NATURE

Yann Arthus-Bertrand, 78 ans, n’a plus le luxe de la candeur. Dans Nature : pour une réconciliation, il nous livre un film à la fois somptueux et implacable, fruit d’une carrière passée à contempler la beauté du monde — et à constater son effondrement. Ce n’est plus seulement le photographe-poète qui parle, mais le citoyen inquiet, presque désabusé.

Le récit démarre au commencement, 4,6 milliards d’années en arrière, là où tout n’était que poussière d’étoiles. Des images du télescope James Webb côtoient des plans aériens magistraux. La Terre est présentée comme une exception fragile, un miracle unique dans l’univers. Mais très vite, l’émerveillement se fissure.

Nous sommes entrés dans la sixième extinction de masse. Océans vidés par la pêche industrielle, forêts éventrées, élevages concentrationnaires, pesticides omniprésents : l’Homo sapiens est devenu Homo economicus, déconnecté de la nature qui l’a façonné.

Le cinéaste ne se contente plus de montrer. Il accuse : notre appétit pétrolier reste intact, on ne pas parler de transition. Il épingle nos contradictions : voyages en avion sous couvert d’écotourisme, fast fashion vendue à prix dérisoires, alimentation industrialisée, exploitation animale. Il s’autorise même une claque symbolique : la France, patrie des droits de l’homme, est le deuxième exportateur mondial d’armes.

Ce film n’est pas qu’un procès, c’est aussi une invitation. Entre les séquences coup-de-poing, le réalisateur rappelle que « seul l’amour peut nous sauver » — l’amour du vivant, des autres, de soi. Et que l’action rend heureux : manger autrement, consommer moins, réapprendre la sobriété.

En conclusion, Arthus-Bertrand cède la parole à des femmes inspirantes — Jane Goodall notamment — qui incarnent la résistance et l’espoir. Ces voix disent que la réconciliation avec la nature est encore possible, à condition d’un sursaut collectif immédiat.

Nature : pour une réconciliation n’est pas un testament, c’est un ultimatum. Sa beauté nous retient, ses vérités nous bousculent. Reste à savoir si nous saurons les entendre.

 

Pour voir le film, rendez-vous sur la plateforme M6+

LE DIVIDENCE SOCIETAL

Paru en avril 2025 aux éditions Dunod, Le dividende sociétal d’Éric Delannoy n’est pas un livre de plus sur la responsabilité sociale des entreprises. C’est un manifeste intelligent, audacieux et pragmatique, qui propose une refonte du pacte capitaliste sans en renier les fondements économiques. À travers cet essai percutant, l’auteur — président-fondateur du cabinet Tenzing Conseil et économiste engagé — invite dirigeants, responsables RSE et directions financières à reconsidérer la façon dont la valeur créée est redistribuée, en y intégrant un troisième pilier : l’intérêt général.

Une préface signée Pascal DEMURGER

Une partie de la résolution des crises contemporaines tient à un mot simple : le partage". C'est par ses mots que Pascal Demurger ouvre la préface qu'il signe en amont de l'ouvrage.  Il rappelle à juste titre qu'il suffirait que "les 200 plus grandes entreprises françaises mettent en place un dividende écologique pour que les investissements verts tricolores suffisent à couvrir les besoins de la transition". Eric Delannoy revient ensuite dans son livre sur les différences entre dividende sociétal, écologique, mécénat, etc.

Un nouveau levier de performance durable

Dans un monde bouleversé par les crises climatiques, sociales et géopolitiques, il ne s’agit plus seulement de “compenser”, mais de redistribuer volontairement une part des bénéfices à des causes sociétales ou environnementales. C’est ce que l'auteur nomme le dividende sociétal : une forme de dividende versé non aux actionnaires ou aux salariés, mais à l’écosystème dans lequel l’entreprise opère.

"Ce dividende d'un genre particulier se définit donc par son intention (servir directement le bien commun) autant que par sa destination (inititatives sans ROI financier, au bénéfice de causes d'intérêt général). il prend tout son sens, voire toute sa puissance d'impact, par sa cohérence (en lien avec la raison d'être de l'entreprise)."

Cette idée simple est aussi puissamment transformatrice qu’elle est économiquement viable. Delannoy y voit une alternative concrète aux injonctions contradictoires entre rentabilité et impact, et une manière crédible de répondre à la crise de légitimité qui frappe une partie du monde économique.

Une approche concrète et méthodique

L’un des mérites majeurs de l’ouvrage réside dans son caractère opérationnel. On y trouve une méthode claire en six étapes pour intégrer le dividende sociétal à la gouvernance de l’entreprise. Pas de théorie abstraite ici : chaque proposition est illustrée de cas concrets — MAIF, Crédit Mutuel, Tenzing ou encore des PME innovantes — qui montrent que cette logique est déjà à l’œuvre, souvent sans avoir été formalisée.

Le livre répond aussi aux principales objections. Oui, un dividende sociétal peut coexister avec une rémunération du capital. Non, il ne met pas en péril la compétitivité. Et surtout, il peut être un vecteur de cohésion interne, en renforçant le sentiment de fierté et d’utilité des collaborateurs, souvent en quête de sens.

Un outil pour les directions RSE… et financières

Ce qui fait l’intérêt particulier de l’ouvrage pour les professionnels de la RSE, c’est son positionnement à l’intersection du pilotage stratégique et de l’innovation sociale. Là où d’autres ouvrages sur la transformation durable s’arrêtent à des principes généraux ou des diagnostics critiques, Delannoy propose un levier financier structurant, qui peut être inscrit dans les statuts d’une entreprise à mission, ou même intégré dans une politique ESG ambitieuse.

Le dividende sociétal, tel qu’il est défendu ici, devient un outil pour réconcilier la logique de profit avec la contribution au bien commun. C’est une manière d’ancrer l’engagement sociétal dans la réalité économique, et non de le reléguer au rang de communication périphérique.

Une proposition politique, au sens noble

Au-delà de la technique, le livre porte une vision politique au sens étymologique du terme : il s’agit de repenser la place de l’entreprise dans la cité. Delannoy insiste : redistribuer volontairement une part de la richesse produite n’est pas un acte de charité, mais un acte de responsabilité. Un geste volontaire qui peut inspirer une dynamique collective, bien plus efficace qu’une taxation imposée par le haut.

À travers des arguments économiques solides, une plume claire et des exemples inspirants, il démontre que le dividende sociétal peut devenir une norme émergente, au même titre que le bilan carbone ou les critères extra-financiers. Il pose aussi une question cruciale : si les entreprises ont les moyens d’agir dès maintenant, pourquoi attendre une régulation ?

Une lecture indispensable pour bâtir l’entreprise contributive de demain

Ce livre n’est pas réservé aux convaincus. Il s’adresse à toutes celles et ceux qui cherchent à réinventer leur modèle sans renoncer à la performance. À l’heure où les labels, les chartes et les indicateurs foisonnent sans toujours produire de résultats tangibles, le dividende sociétal offre une piste structurante, lisible et engageante.

En conclusion, Le dividende sociétal s’impose comme une lecture incontournable pour les professionnels de la RSE, les directions générales, les conseils d’administration et toutes les parties prenantes désireuses d’aller au-delà des discours pour agir. C’est un appel à conjuguer éthique, efficacité et engagement — un triptyque indispensable pour faire face aux défis de notre siècle.

 

Le Dividende Sociétal d'Eric Delannoy - Editions DUNOD - 2025