Derrière ce titre volontairement provocateur, se cache une réflexion très pertinente sur notre avenir professionnel et en particulier, l’absence de compréhension et d’anticipation, voire le déni total de ces évolutions par la sphère politique, administrative et publique.
Car oui, l’ère numérique et l’automatisation vont détruire bien plus d’emplois qu’ils ne vont en créer. Au lieu de s’y opposer frontalement et faire croire aux « travailleurs » que l’on peut s’opposer à la lente et inexorable destruction du salariat, il vaut mieux aujourd’hui lutter contre ce que Bernard Stiegler appelle la « prolétarisation » de l’emploi, montrant avec humour mais néanmoins sérieux comment nombre de patrons de multinationales (et pas uniquement des ouvriers non-qualifiés) sont en train de se prolétariser à cause de l’intelligence artificielle et des nouveaux process numériques.
Tout l’enjeu est donc d’abord de combattre « l’automatisation des esprits ». Or l’emploi, qui n’est pas le travail mais plutôt aujourd’hui sa désintégration – représente très précisément, selon l’auteur, la facette aveugle et mécanique de nos activités rémunérées, qui se conjugue si aisément avec « l’automatisation des esprits ».
Pourquoi dès lors, s’accrocher à la survie de l’emploi ? Pourquoi ne pas accepter sa disparition progressive pour que renaisse le travail véritable ? La distinction que fait le philosophe entre le travail et l’emploi a le mérite de faire réfléchir. S’il assimile l’emploi au travail qui « appauvrit et décervelle », il réserve le terme de « travail » à une activité contribuant à notre individualisation, à la construction de la singularité de chacun.
La fin de l’emploi est donc l’occasion de réinventer le travail et le livre donne des pistes intéressantes pour l’imaginer et le déployer, notamment via les « biens communs » et un parallèle avec le régime des intermittents du spectacle.
En résumé : un haut niveau d’analyse, un point de vue clairvoyant, inspirant et plein d’humanité.
L’EMPLOI EST MORT, VIVE LE TRAVAIL
Bernard Stiegler, entretien avec Ariel Kyrou - Aux éditions Mille et Une Nuits – 2015