Si le temps de concentration d’un poisson rouge est de huit secondes, celui de l’homme n’en est que de neuf. Pourquoi et comment en est-on arrivé à cette quasi égalité ?
L’arrivée des nouvelles technologies a considérablement changé nos habitudes consommation, notre façon de nous comporter et de vivre en société. Dans ce livre, l’auteur nous en révèle l’impact dévastateur. Alors que le temps maximum d’utilisation d’écrans ne devraient pas dépasser trente minutes par jour, nous les utilisons 4h30 par jour en moyenne. Autant dire que nos cerveaux sont conditionnés, routés, formatés par nos écrans et ceux qui développent les programmes qui nous y attachent.
C'est pourquoi nous pouvons aujourd'hui parler d'une véritable économie de l’attention. Tandis que Facebook ne vit que par les données récoltées sur ses utilisateurs, les algorithmes d’Instagram, de Twitter, de Google et bien d’autres, apprennent à nous piéger, à nous enfermer dans un champ restreint d’informations. Car ces algorithmes tendent à nous montrer d'abord ce qui nous plait, ce qui nous procure du plaisir afin de nous "scotcher" à l'écran. Les empires économiques d'internet ont créé une nouvelle servitude avec une détermination implacable.
L’économie de l’attention rime aussi avec notifications. Ces petits pop up qui, dans la seconde où ils arrivent sur nos écrans, nous angoissent si nous ne regardons par qui c’est, ce que c’est, pour quoi c’est. Serions-nous devenus des bêtes incapables de réfléchir par elles-mêmes, qui avancent les yeux rivés sur les écrans, que ce soit dans le métro, les magasins, dans la rue, au cinéma, partout... ? Comptez autour de vous combien de personnes ont les yeux rivés sur leur écran, c’est affolant. Les créateurs de chez Apple par exemple, d’autres le font aussi, proposent des paramètres pour ne plus recevoir les notifications. Mais là encore, un autre sentiment d’angoisse apparait: la solitude, la peur de rater quelque chose, la perte d’être oublié …
Les géants du numérique ne peuvent ignorer cette situation : de plus en plus de personnes tombent en dépression, de plus en plus vont en cure de désintoxication digitale.
Dans cette guerre de l’attention, quelle est celle que nous portons à nous-même ? Être ou ne pas être? Être présent sur les réseaux ou être rejeté de tous groupes sociaux, là est la devise de noter ère. Tu n’as pas Facebook ou Instragram, tu n’as pas d’amis, c’est peu ou prou la réalité de notre temps. Cette attention qui nous rend fou, l’envie, le sentiment de devoir plaire, de se sentir aimé, apprécié, dans le cas contraire ou un sentiment d’infériorité, de tristesse se fait ressentir. Instagram a bien compris la course aux likes rendait les gens bien plus détestables... alors on enlève les likes ! La course aux followers, aux demandes d’amis, d’ajouts, « Monsieur X est sur Instagram, vous le connaissez peut être », « Madame Y n’avait pas posté de photos depuis un moment, découvrez son compte », toutes ces notifications nous animent et nous guident dans nos choix, qui ne le sont plus ou en tout cas que partiellement. L’audience, faire de l’audience, avoir le plus de personnes derrière soi, et le jour où l’on se rend compte de l’inutilité de la chose, c'est bien trop tard pour en sortir sans conséquences.
L’économie de l’attention, c’est aussi et surtout, un tournant dans nos attitudes de consommateurs, on se fie aux commentaires, on y fait attention, on se fie aux petites étoiles, aux avis, à la notoriété sur les réseaux, on se fie à ceux qui représentent la marque. Toujours évidement à travers nos écrans. L’utilisation des écrans ne fait qu’augmenter depuis ces vingt dernières années, tandis que les jeunes des années 2000 jouaient avec des legos, ceux des années 2010 jouent avec des téléphones, des tablettes, et surtout des jeux vidéos.
Le poisson rouge devrait vivre 30 ans, plus ou moins, en développant sa taille d’environ 6 fois quant à sa taille initiale, mais enfermé dans un petit bocal, seul, l’espèce s’est atrophiée, et sa durée de vie tout autant. Ce qui nous laisse un aperçu, plus ou schématique, en tout cas allégorique, de ce qui nous attend.
La civilisation du poisson rouge, de Bruno Patino, aux éditions Livre de Poche - 2019